06.10-16.11.2024
76,4, Brussels
From the street, you can hear her voice.
Behind the glass, the anatomy of an artichoke.
“ L’oreille est beaucoup plus créatrice que l’œil. L’œil est paresseux, l’oreille, au contraire, invente.”1
Sous le terme d’Erotic City, Suzie Crespin Thirode investit la vitrine de 76,4. Elle propose une installation sonore et visuelle qui s’envisage comme une suggestion. De la fenêtre ouverte s’échappe un fredonnement. La lumière blanche - trop blanche - des néons s’heurte contre le plastique mou des rideaux de douche. Des gouttes ont perlé sur la vitre. Le carrelage est encore mouillé de quelques pas chassés. Situation. Cela pourrait être n’importe où. N’importe qui. N’importe quand. Une voix cristalline susurre des chansons d’amour, qui soudainement perceptibles nous parviennent, nous intriguent, nous font tourner la tête. En nous invitant ainsi, à tendre l’oreille, Crespin Thirode intervient dans notre trajectoire. On s’arrête, pause, marche arrière. Arrêt sur image. On écoute, d'abord. On regarde ensuite. Qu’y-a-t-il ? Rien. Presque. Une vitrine, un rideau, un mur blanc. Une scène, un écran, une projection. Au travers d’Erotic City, poème scénographié, Suzie Crespin Thirode suggère une émotion, nous invite à rêver (selon les termes de Mallarmé : « Nommer un objet, c’est supprimer trois quarts de la puissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve.2 »).
On se prend tout à coup à songer, on projette depuis la rue, sur ce morceau plastique - cette matière synthétique qui évoque l’intimité - une mythologie érotique. Du canon dit ‘pudique’ de l’Aphrodite de Cnide, aux scènes religieuses figurant Suzanne ou Bethsabée, l’iconographie de la femme au bain est un thème récurrent dans l’imaginaire collectif, inlassablement nourri de célèbres scènes du cinéma. La présence fantomatique du corps, ici matérialisée par sa voix même crée une situation nouvelle, in situ au dehors. On s’arrête devant une vitrine, dans laquelle est l’image d’une femme. Le son théâtralise l’espace public et lui donne tout à coup un caractère dramatique. Le voyeurisme est soudainement mis en lumière, souligné par cette voix de sirène échouée.
A travers ses couches plus ou moins translucides, Erotic City nous invite à réfléchir sur la subjectivité de notre point de vue, et sur - non pas la distance - mais l’existence de l’Autre3, (problématique au coeur du cinéma Akermanien). Finalement, plus on s’en approche plus on lui fait face: ce qu'il reste ici d’humain c’est bien notre seul reflet dans la vitre, notre réalité unique.
Et cette réalité est vraie : si on peut habiter une vitrine sans y être, on peut occuper un esprit sans le voir. Fredonner un air, c’est le connaître par coeur, si bien qu’on en est possédé. Il nous habite, il nous envahit, à tel point qu’il nous déborde. Sans s’en rendre compte il émane, s’échappe, se distribue, à tous, unanimement. A qui veut bien l’entendre, la chimère s’expose à ses yeux.
Coeur d’artichaut, une feuille pour tout le monde.
1 Robert Bresson, entretien avec J.-L. Godard et Michel Delahaye, Cahiers du cinéma, n° 178, mai 1966
2 Mallarmé, extrait de Proses diverses, Réponses à des enquêtes, Sur l’évolution littéraire
3 Propos développés par Chantal Akerman le 21 septembre 2000 dans un entretien pour Chronic'Art
Born in Paris in 1995, Suzie Crespin Thirode lives and works in Saint-Ouen-Sur-Seine. Graduated from Beaux Arts de Reims and the Arts Décoratifs de Paris in 2023, she works in installation, performance, writing, video and photography. She describes her installations as ‘adventurous additions’, in which various media are brought together to echo and relay each other.
She self-published three collections, Re(faire) sur(face) 2022, Baise en ville 2023 and Pili Pili in 2024. This gave rise to a dynamic between writing and image, with her videos and photographs becoming extensions of her texts, interacting autonomously. She recently inaugurated a performance project entitled ‘Poèmes hurlés’ in Paris and Brussels. Through performance, she brings into play the notion of attempt, which is the expression of a challenge to the world and to oneself. This translates into a desire to deflect the event by creating situations that are both intimate and shared.
76,4, 24, rue de Bosnie, 1060 Saint-Gilles, Brussels
Permanently visible from the street
A project hosted by Michel François