Unbirthday
Exposition monographique
Raphaël Lecoquierre

03.02-02.03.2024

Saint-Martin Bookshop, Brussels


 

Protéiformes et paradoxales, les fresques de Raphaël Lecoquierre sont le résultat d’un procédé qui puise son élaboration dans un vaste ensemble de photographies analogiques vernaculaires. Soumises à un processus d’oxydation afin d’en extraire la substance colorée, leurs pigments sont alors incorporés à du stuc vénitien et utilisés comme matière première pour la création de motifs qui émergent et ressurgissent à la surface de l’œuvre.
Dans le cadre de son exposition chez Saint-Martin Bookshop, l’artiste est invité à investir les trois étages de la librairie. Son intervention interroge les différents cycles qu’a connu le lieu, et s’immisce dans l’intimité de sa grammaire.  Au rez- de-chaussée, les colonnes cylindriques reprennent la forme d’écrins précieux. Tantôt agrandies, tantôt rapetissées, leur élévation culmine vers le premier étage, espace d’entre deux mondes. Dissimulée dans une galerie de glaces, la fresque que l’on traverse insciemment nous guide de l’autre côté. De l’autre côté de quoi. Contemplatives, les pièces du dernier étage nous invitent à réfléchir sur le sens ou le non-sens de cette question.
Le nonsense est un genre littéraire émergeant à l’ère victorienne suite aux célèbres écrits de Lewis Carroll. Il induit une attitude à la fois double et ambigüe, qui revient à subvertir les codes de façon temporaire tout en respectant scrupuleusement les règles de vocabulaire, et non de syntaxe, reposant sur « une grammaire très stricte1 ».
Gilles Deleuze dans sa Logique du sens, montre que le sens ou le non-sens sont en fait la même chose : ils sont le contraire du « bon-sens », du sens commun du langage dans lequel nous sommes englués. La traduction plus littérale serait alors celle d’un sens « déréglé ».
Dans ses multiples tentatives de traduction en français du poème carrollien Jabberwocky 2

Antonin Artaud se rend quand à lui compte que ce nonsense revient à déstructurer pour conserver.
Le travail de Raphaël Lecoquierre s’inscrit dans cette oscillation stylistique. Ses pièces montrent paradoxalement que leur sens n’est pas de l’ordre du savoir mais de l’expérience.
Bien qu’elles répondent techniquement et formellement à des archétypes architecturaux et artistiques historicisés (que sont la colonne, la fresque, le tableau) les œuvres de Lecoquierre font avant tout référence à la place de notre corps dans l’espace : elles grandissent, diminuent, s’étalent. Une manière logique de montrer qu’en fonction d’un milieu donné les réactions et points de vue impliquent une certaine géométrie. A travers son travail, l’artiste remet en question la place du sujet dans la perception, et fait de la logique formelle une question presque personnelle.
D’apparence minimale, le geste que Raphaël Lecoquierre répète inlassablement s’oriente plutôt dans le sillon du color field. Le corps de l’artiste est totalement impliqué dans la stratification des multiples couches qu’il prépare, enduit, ponce, polie en respectant minutieusement les règles induites par le vocable de son médium. Attestée dès les anciens temps mésopotamiens, la technique de la fresque apparaît comme le premier moyen mis en œuvre dans la représentation d’une image alors pérennisée, inscrite dans la pierre elle-même. Si le marbre est immortel, souvent considéré comme vivant3 de par les veines qui le parcourent, le stuc Vénitien, technique popularisée par Palladio à la fin de la Renaissance a quand a lui un caractère pastiche, de trompe l’œil, qui vise à imiter le matériau brut.
Ce que l’on croit être n’est pas, c’est autre chose, un reflet. Pourquoi un corbeau ressemble à un bureau? Et si les colonnes étaient en fait des boîtes à chapeaux. Si elles rapprochent le symbolique, l’imaginaire et le réel, les pièces de Raphaël Lecoquierre s’écartent de toute narration. Radicales, elles refusent la réalité et se refusent à elle.
Au delà du miroir, elles nous indiquent un passage du réel au merveilleux, nous invitent à célébrer un anniversaire qui n’en est pas un.

1 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, pp. 111-112
2 Antonin Artaud, L’Arve et l’Aume : Tentative anti-grammaticale contre Lewis Carroll
3 Sophie Mouquin, Pour Dieu et pour le Roi : l’élaboration d’une symbolique du marbre sous l’Ancien Régime. Marbres jaspés de Saint-Rémy et de la région de Rochefort, 2012.


Raphaël Lecoquierre (°1988, France) est un artiste français qui vit et travaille à Bruxelles. Son travail est intimement lié à l'image photographique, tant à son pouvoir suggestif qu'à ses propriétés matérielles intrinsèques, qu'il transforme à l'aide de procédés expérimentaux et inhabituels. 
À la fois minimaliste, poétique et radicale, son œuvre interroge notre rapport au visible et explore les mécanismes de la mémoire, à travers un renversement de la représentation. S'inspirant de diverses traditions picturales et conceptuelles, ses œuvres oscillent entre figuration et abstraction, élargissant le regard du spectateur en laissant libre cours aux interprétations.  


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